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40 ans et 4 enfants
31 mars 2016

Lettre à mon amie qui a perdu sa fille <3

DessinRomeo_0414

Nous nous sommes connues étudiantes et insouciantes. Nous nous sommes mariées, et nos maris sont amis. Nous étions enceintes ensemble, j'ai eu #BB3 et elle a perdu sa fille Marie après 3 semaines de descente aux enfers. Nous nous sommes perdues de vue et puis via le blog retrouvées par hasard. Nous nous sommes racontées nos vies de ces derniers temps, j'avais envie de laisser ça là, avec son accord... 

Coucou Sophie,
J'ai mis du temps à te répondre parce qu'à chaque fois que je commence à écrire, je pleure. J'ai ouvert une note dans mon téléphone et quand j'ai le courage, je continue mon message.
Je voulais t'écrire depuis des années, depuis la mort de Marie en fait. J'aurais tellement voulu être à vos côtés mais je crois que je n'ai pas été capable de comprendre à quel point c'est douloureux de perdre un enfant et que cette douleur s'installe dans la durée. J'aurais voulu venir à l'enterrement aussi mais comme je ne pouvais pas laisser BB3 qui venait à peine de naître, c'était impossible de venir avec mon bébé tout frais, alors que toi tu disais adieu au tien. Mais Monsieur-40-ans a pris le 1er avion et est venu (et je suis contente que sa venue t'ait fait du bien en ce jour si terrible).
Et puis quand j'ai accouché de Céleste, j'ai compris à quel point j'aurais pu être là pour toi après le décès de Marie. Je crois que tant qu'on n'a pas perdu un enfant soit même, c'est difficile d'imaginer à quel point la souffrance est profonde, longue et sournoise. Cela fera presque 2 ans que j'ai accouché à quelques jours près, et finalement c'est encore presque aussi vif. Et pourtant j'ai eu Eliott l'année dernière .

Nous avons voulu tout de suite avoir un autre enfant, non pas pour remplacer Céleste, mais parce que j'avais besoin de me remettre dans un projet positif. Si Céleste avait vécu, peut être que nous n'aurions jamais connu Eliott alors finalement c'était comme tenter de redonner un peu de sens à l'inacceptable . C'est comme si finalement Céleste n'était pas mort pour rien; il n'est pas mort pour son frère , mais grâce à lui nous l'avons connu.
Cette grossesse d'après a été un enfer moral, et physique, j'ai failli perdre Eliott a 23 semaines , à cause d'un vilain germe. Nous avons tenu bon et j'ai surtout tenu le canapé , ce qui n'a pas été simple avec les 3 autres enfants, mais on a survécu (et vécu un peu dans le bordel crado aussi 😄).
Eliott est né. Et la joie qu'il nous a procurée a éteint beaucoup de feux de douleurs. Quel bonheur un bébé à bisouiller et à aimer !
Avec sa place toute particulière dans la fratrie, il est arrivé à nous rassembler autour de lui. Maintenant avec le recul, je me dis que c'était le bon choix.

Pourtant, il n'avait pas 7 semaines que BB1 a commencé à aller très mal. Et puis l'enfer encore, le cancer, la leucemie, 7 mois de chambre stérile et d'aller-retour maison-hôpital,comme si on n'avait pas payé assez cher notre tribu en malheur. J'ai fini par devenir superstitieuse. Le mois d'avril me fait peur. Le 6 avril j'ai accouché de Céleste et un 25 avril on nous a annoncé le cancer de BB1. Aujourd'hui on est juste en apnée, épuisés par ces interminables mois d'angoisses, de maladie, de peine, de stress et de douleurs. Je ne sais pas comment on a fait pour survivre.
Et puis l'enfer n'est pas prêt de s'arrêter, BB1 n'est qu'en rémission et le taux de rechute des leucémies est très fort. Elle n'a que 4 donneurs potentiels dans le monde et aucun des garçons n'est compatible avec elle. Si on était jeune et frais, on aurait sans doute tenté d'avoir encore un enfant , une chance sur 4 d'être compatible avec elle . Mais aujourd'hui je ne sais plus, 4 enfants c'est beaucoup de bonheur mais beaucoup de boulot. Et puis je vais avoir 41 ans.

Ton message m'a fait du bien, d'abord parce qu'il m'a permis de me remémorer pleins de choses et des moments de bonheur, et puis parce que tes mots sont très justes, le soutien ne vient jamais de qui on l'attend et j'imagine que toi aussi tu as dû avoir ton lot d'incompréhensions et de proches qui sont passés à autre chose. Alors que nous on pense à ce que nos enfants seraient devenus, quel genre d'adultes ils auraient été et tant d'autres choses.
Aujourd'hui on tente de reprendre une vie ordinaire. Une vie ordinaire avec une épée de Damocles, et la crainte tous les mois que cette merde de cancer revienne.

BB1 a survécu, mais le cancer nous prend encore en otage. Encore 18 mois et nous aurons passé le pic des rechutes; encore 4 ans 1/2 avant qu'elle soit déclarée guérie . C'est drôle, je n'avais jamais remarqué que guérir et guerre c'était si proche. On a gagné quelques batailles. Les gens autour de nous pensent que voilà c'est fini, tout va bien, qu'elle a gagné la guerre. S'ils savaient...
Comme ceux qui croient nous réconforter parce qu'ils connaissent le fils de l'ami d'une amie qui s'en est sorti.
Alors que nous on ré-apprend à peine à mettre un petit pied devant l'autre, et que nous naviguons au gré des alertes, tout en essayant de travailler pour récupérer ces mois de présence à l'hôpital.

Pour le blog, tu devrais te lancer; au moins juste pour toi, pour te libérer . Tu peux changer les prénoms et ne donner l'adresse à personne. Mais fais-le, écrire libère plus qu'il n'enferme dans la douleur. J'ai aussi beaucoup écrit de billets qui sont restés à l'état de brouillon. J'ai pu y verser dans l'intimité totale ma haine envers le monde quand j'ai accouché de Céleste; j'ai aussi beaucoup publié et j'ai été surprise de trouver tant de femmes ayant traversé cet enfer.
Ce ne réconforte pas de savoir que d'autres ont vécu la même chose, mais ça fait du bien de parler.
Après, bloguer ses malheurs attire aussi les voyeurs, les pervers et même les jaloux. En quantité moindre que le réconfort et le soutien heureusement.
Certains ont pensé que j'utilisais ma fille pour avoir des cadeaux, d'autres que l'on s'était servi des cagnottes pour partir au ski. (crétins, j'aurais préféré les Bahamas!).
J'ai décidé de ne jamais me justifier de ce genre d'horreurs et de ne retenir que le soutien et le positif. S'ils savaient à quel point je regrette ma vie merveilleusement ordinaire d'avant, et tout ce que nous devons payer comme frais au quotidien pour le suivi... L'Amh mensuelle, les sérologies régulières non prises en charge, les Vtc quand elle est trop fatiguée le vendredi, les compléments alimentaires, l'eau en bouteille, et tant d'autres...
Bref, bloguer c'est s'exposer aussi. Et la méchanceté est le corollaire de la gentillesse; je préfère ne voir que la gentillesse.

En t'écrivant ce mot, je me rends compte que c'est le billet que j'avais envie d'écrire sur le blog pour ce mois d'avril qui nous pétrifie ; si tu es d'accord, je le publierai en changeant les prénoms pour toi et Marie, pour que tu puisses conserver ton anonymat.
Je suis vraiment contente que tu m'ais écrit, tu as fait ce que je voulais faire depuis des années, depuis 6 ans 1/2 exactement. Si je n'avais pas été enceinte et si je n'avais pas accouché à ce moment là, je serai venue te voir; je serai venir voir Marie même si je sais maintenant qu'on ne peut pas aller voir les BB en réa; j'aurais pu au moins t'apporter un peu d'aide logistique pour Ethan, ou un peu d'aide morale.
Pardon aussi de ne pas avoir été là.
On a un peu raté quelque chose à tour de rôle dans le passé mais on peut essayer de faire mieux dans le futur.
Je t'embrasse .

~~~

(le dessin est celui que m'a fait BB3 quand j'étais à la maternité pour Céleste, pendant longtemps il n'a voulu dessiner que des arcs-en-ciel, pour que j'en ai dans toutes mes poches)

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Commentaires
D
Difficile de conter les larmes qui coulent en lisant tout ça. J’ai connu ton blog et ton histoire avant de perdre mon fils et connaître par moi même cette douleur qui déchire le cœur a plus jamais. J’avais déjà lu tes mots à l’époque mais ça me touche toujours autant. Tendres pensées dans cette journée particulière
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P
Très belle lettre à ton amie. C'est vraiment émouvant, mes poils se sont dressés. Bon courage
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E
Hello,<br /> <br /> Votre amie a beaucoup de chance de vous avoir. Elle sait qu’elle peut toujours compter sur vous.
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S
Il n'est jamais trop tard pour rattraper le temps perdu, du moment que les sentiments sont sincères.<br /> <br /> Le malheur fait peur... J'ai perdu mon fiancé quand j'avais 24 ans, et certaines personnes m'ont fuie aussi loin qu'ils ont pu... J'ai compris beaucoup de choses à ce moment-là... <br /> <br /> Bises !*<br /> <br /> SandRyne
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C
Une amie me disait récemment regretter de n'avoir pas été plus présente lors de la perte de ma fille il y a 15 ans... et malgré le temps passé, ça m'a fait un bien fou, d'une) qu'on me parle encore d'elle (elle n'a vécu que 14 jours) 2) de savoir que mon amie comprenne la peine que j'éprouvais par rapport à cette perte... il n'est jamais trop tard pour dire des mots sincères et gentils à des amis ! <3
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  • Le quotidien mouvementée d'une famille nombreuse, avec ses problèmes d'organisation ... Sinon on est plutôt bio, bidouilleur et hyperactif ! On parle aussi de deuil périnatal et de leucémie...
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